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Moz'Art

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Le poète doit être moderne

vendredi 16 octobre 2009

"Hello, I'm crazy"





"Parce que c'est plus classe en anglais.
Elle parle aux murs.
Il paraît que ça fait du bien de parler, de vider son sac. Mais vu qu'il n'y a personne si ce n'est elle dans l'appartement, il faut bien qu'elle se rabatte sur quelque chose.

Et comme on dit aussi que les murs ont des oreilles...
Il n'y a plus qu'à espérer que ça ne soit pas une oreille distraite.
Sinon ça ne servirait à rien.
Quoique...

De toute façon elle ne s'attend pas à ce que le mur lui dise si oui ou non il a bien entendu ce qu'elle a dit.
Et puis de la même façon, elle n'a pas à l'entendre râler qu'elle est agaçante.
Les murs ont ça de bien qu'ils ne sont pas difficiles.
Et puis il y en a partout.

Enfin de toute façon elle ne parle qu'à ceux de son appartement.
Pas qu'elle soit sectaire mais elle n'a pas forcément envie que tout le monde entende ce qu'elle a à dire.
Ça ne les regarde pas après tout.

Parfois, elle se dit qu'elle jetterait bien son dévolu, ainsi que son venin, sur un parfait inconnu qu'elle choisirait au hasard dans la rue.
Elle arrêterait le premier venu, ou le second peu importe, et elle lui balancerait tout au visage.
Le pauvre en tomberait sans doute à la renverse,
déséquilibré par le poids de ces confessions.
Pas qu'elles soient particulièrement difficiles, elles sont même cruellement banales, c'est surtout qu'elles sont nombreuses.

On ne dirait pas comme ça mais ça cogite drôlement sous cette caboche.
Mais
pour le moment, elle parle aux murs.
Le mur est solide, il ne s'écroule pas à la moindre occasion.
Il a des responsabilités, un toit à porter.
Ce n'est pas rien.
Pendant un temps, elle parlait au chat.
Mais il n'a pas supporté.

Ce salop s'est enfui et s'est débrouillé pour se faire écraser.
Abruti de chat.
On ne peut vraiment plus compter sur personne. L'appartement est vide, ou presque.
Ici, le meuble avec la télé.
Là une table et quelques chaises.
Dans ce coin, les placards de la cuisine.

Le strict minimum quoi.
Le silence a poussé le reste du mobilier par la fenêtre, il est allé s'écraser sur le cadavre du chat, créant un embouteillage immense.
Il a aussi bien failli la jeter par la fenêtre elle aussi.

Mais elle a tenu bon, pour une fois.
Elle était plutôt fière d'elle sur ce coup là.
Ce n'est pas le genre de victoire que l'on remporte tous les jours.
D'autant plus qu'elle n'en remporte pas souvent.
Par
ci par là, il y a des piles de livres.

Il doit bien y en avoir une trentaine dans l'appartement, survivants d'une bataille qui n'a pas encore eu lieu : elle n'en a jamais fini un seul.
Elle lit les quatrièmes de couverture et se dit que l'histoire promet d'être fabuleuse, mais au bout de quelques pages elle s'en désintéresse complètement.

Alors elle repose le livre et il devient comme tous les autres : un de plus sur une pile prête à tomber.
Il se passe à peine dix minutes avant qu'elle n'ait oublié de quoi parlait l'histoire.
Elle refuse pour autant de les jeter.
Elle se dit qu'ils sont la preuve qu'elle est encore viv
ante. Pourtant, elle a arrêté d'en acheter ces derniers temps.
Ça ne sert plus à rien.
Bientôt le silence les précipitera eux aussi par la fenêtre et il serait regrettable qu'ils finissent dans le caniveaux. Même un livre ne mérite pas ça.« J'veux une vodka. »Dit-elle au mur dans un sourire.

Leur conversation continue mais elle sent bien qu'elle arrive à la fin.
Elle se lève, ouvre un placard et en sort la bouteille de vodka.
Elle en boit une grande rasade directement au goulot avant de remplir à moitié un verre coca.
Si elle parle aux murs, elle se refuse à parler à la bouteille.
Elle trouve ceci trop caricatural.
Ce qu'elle ne comprend pas, c'est que toute sa vie est un cliché.
Ses
yeux se fixent sur le coin à côté de la fenêtre.
Tout ratatiné sur lui même, il y a un autre tas, mais on en distingue ni la tête ni la queue.

Tous ses visiteurs finissent toujours par lui demander de quoi il s'agit, car s'ils peuvent se faire une raison du manque de meuble, il ne s'explique pas la présence de ce tas, de ce truc.
Elle répond toujours d'un air absent « ce n'est qu'un tas de rêves brisés, rien de bien intéressant ».

Le visiteur interloqué tente toujours d'en savoir plus, mais il n'insiste jamais trop puisqu'à ce moment là elle lui met la langue dans la bouche avant de l'attirer dans la chambre, homme ou femme.
La
chambre... c'est comme les livres : elle n'y va plus, et plus aucun visiteur ne vient.
Elle déteste cette pièce.

L'autre jour elle a déchiré la tapisserie, éventrer les oreillers et le matelas au couteau, jeter la lampe sur le mur, ravager sa penderie...
Maintenant, elle dort dans sa baignoire.
Tous les soirs elle la remplit avant de s'y coucher,
espérant que dans son sommeil elle noiera.
Mais elle est toujours là.
Elle
boit son verre, pensive.
Ses pas la mène à la fenêtre.
Alors qu'elle regarde dehors, elle verse quelques larmes.
Mais seulement deux ou trois, parce que faut pas déconner non plus.
Le
temps passe et passe.
La nuit est tombée, le verre est maintenant vide.
Elle est couchée par terre, roulée en boule.
Quand il arrive pour la réveiller, elle ne sursaute même pas.

Il la porte et va la poser sur le lit.
Il la borde, elle ne dit toujours pas un mot.
Il retourne dans la salle principale et saisit le jerricane qu'il avait déposé à l'entrée.
Il en asperge toute la pièce : les livres, les placards, la table, la télé.

Puis il jette une allumette et part la rejoindre dans sa chambre.
Elle s'est rendormi.
Il s'allonge à côté d'elle, regarde le plafond.

« We'll never be alone anymore »

Parce que c'est plus classe en anglais...

nobody's listening"



Shoot by Anton Deneke with Zoé mozart.





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Marilu

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